Réduction de la vitesse sur le périphérique, accès réservé aux voitures les plus propres, fermeture des voies sur berges, suppression de dizaines de milliers de places de parking en surface…
La Ville de Paris ne cesse depuis un peu plus de 20 ans de restreindre la place allouée à l’automibile. Depuis le 5 novembre 2024, les 1er, 2e , 3e et 4e arrondissements de la capitale font l’objet d’une Zone à trafic limité (ZTL).
Il n’est dorénavant plus autorisé de passer par ces zones sans motif valable : il est toujours possible d’aller chez le coiffeur ou un ami dans le 2e par exemple, mais il n’est plus légal de partir du 18e arrondissement et de traverser le 2e pour se rendre in fine dans le 5e .
Cette mesure vise à “apaiser la circulation et à réorganiser la mobilité en faveur des transports en commun et des mobilités actives”, selon la mairie de Paris. Mais derrière le ripolinage écologique se cache une réalité bien plus prosaïque : Paris met désormais tous les arguments de son côté pour accueillir les touristes, à l’instar de Milan ou de Rome, pour ne citer qu’elles.
Inutile du point de vue environnemental
L’Autorité environnementale, qui ne dépend en rien de la mairie de Paris, n’a pas été franchement enthousiasmée par le dossier ZTL de la capitale : “La ZTL entraîne une amélioration de la qualité de l’air au sein de son périmètre, avec une baisse des concentrations de dioxyde d’azote (NO2) comprise entre 1 et 15% selon les voies. En revanche, les reports de trafic à l’extérieur de la ZTL provoquent des hausses des concentrations sur quelques voies (…). Ainsi, la ZTL n’engendre pas d’incidences significatives en matière de qualité de l’air”, a fait savoir l’organisme en février 2024.
L’Autorité environnementale reproche encore à la mairie de Paris d’avoir fourni une étude d’impact bien trop vague. La baisse de trafic tant attendue n’est pas chiffrée, mais la réduction des émissions de gaz à effet de serre est tout de même estimée à 7,3% : “Cette évolution devrait être reprise dans l’étude d’impact et sa modestie au regard du trafic de transit qui représente 50% des flux automobiles devrait être expliquée, d’autant que c’est l’objet même du projet”, grince l’Autorité.
Celle-ci déplore en outre “les taux importants de saturation du trafic” sur les quais Saint-Bernard ou d’Austerlitz qui résulteront de la mise en place de la ZTL.
Conçue pour créer un espace “apaisé” selon l’Hôtel de Ville, la ZTL n’aurait de surcroît aucune incidence sur le bruit ambiant, toujours d’après l’Autorité environnementale : “L’impact acoustique global du projet est faible, l’amélioration étant principalement due à l’évolution des motorisations et des vitesses de déplacement motorisé”, note-t-elle.
Ainsi, comme le résume la chambre de commerce et d’industrie d’Île-de-France, “au lieu de réduire de manière globale les externalités négatives de la circulation automobile, la ZTL entraînera une redistribution géographique des nuisances, créant des zones gagnantes et des zones perdantes”.
Privilégier le tourisme et le shopping
Parmi les nombreux documents mis en ligne par la mairie de Paris pour prouver le bienfondé de sa ZTL, un argument n’est pas à prendre à la légère. La ZTL doit “contribuer à la dynamisation économique, commerciale et touristique de la zone”, est-il indiqué.
Par ailleurs, dans l’étude d’impact relative à la ZTL, la mairie de Paris considère comme un enjeu “très fort” la mobilité touristique. Conçue pour “apaiser” la circulation, la ZTL devait à l’origine exclure les cars de tourisme de son périmètre.
Un brin de lobbying de la part de la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) a pourtant suffi à faire rapidement évoluer la doctrine : les cars de touristes peuvent librement circuler dans la ZTL !
Le groupe d’opposition à Anne Hidalgo, Changer Paris, ne s’est sans doute pas trompé sur ce surprenant revirement de situation : “La ZTL consacre la logique d’éviction des Parisiens par les touristes, ont écrit les opposants de la maire de Paris. La préservation de la circulation des cars de tourisme dans la zone démontre magistralement cette dérive encouragée par la municipalité parisienne.”
Les touristes étrangers ont en effet représenté 13,7 milliards d’euros de “consommation touristique” à Paris et en Île-de-France en 2023, selon les chiffres de la Région. Un montant en hausse de 14% par rapport à 2022 et qui se situe bien au-delà de la “consommation touristique” effectuée dans le même périmètre par les touristes français : à peine 8 milliards d’euros !
L’étude d’impact relative à la ZTL ne manque pas non plus de noter que “les magasins de luxe (Yves Saint Laurent, Chanel, Christian Dior, etc.), les grandes enseignes ou les petits commerces présents au sein de la ZTL attirent de nombreux visiteurs”.
Des ZTL déjà bien présentes ailleurs
L’image du Français ou de l’Italien qui se joue constamment des règles a semble-t-il bien vécu. Le Cerema (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) a en effet visité trois ZTL italiennes avant que ne soit mise en place celle de Paris.
Le rapport qui s’est ensuivi fait part de différents “points d’étonnement” de la part des experts : “Malgré une concertation assez peu développée, une adhésion des habitants aux ZTL” est constatée, et ce, en dépit “de dispositifs automatiques de surveillance très présents”, c’est-à-dire de caméras.
À Rome par exemple, il faut savoir qu’il n’y a pas une ZTL, mais cinq ! Lorsque l’on pénètre dans la ZTL Fascia Verde, il convient d’être au courant qu’il faut au minimum un véhicule Euro 3 pour y circuler légalement. Mais attention : si l’on passe dans le périmètre du centro storico, seuls les véhicules hybrides et électriques deviennent autorisés.
Et lorsque l’on arrive à la zone du Tridente, plus aucune circulation n’est admise ! Dans l’autre grande ville italienne, soit à Milan, les riverains des ZTL qui possèdent une voiture sont tenus de renouveler leur autorisation d’accès tous les deux ans.
Et tout est fait pour les gêner : afin de circuler, ils doivent pouvoir abaisser les colonnes anti-circulation présentes au beau milieu de la chaussée. Pour ce faire, il s’agit d’acquérir un bip, à 51 €. Quant aux éventuels artisans qui voudraient travailler dans le cœur historique de Milan, ils doivent pour leur part se procurer une “autorisation d’urgence”…
Dans un article du Corriere della Sera, le professeur d’économie Marco Perco explique que “la zone B (à Milan, NDLR) a retiré des rues bien des catégories de voitures, ce qui a obligé des familles à les remplacer. Cette politique a coûté en moyenne 3750 € par citoyen”.
Un fait parmi d’autres qui a sans doute conduit les opposants à la ZTL milanaise à manifester en mars dernier : “En supposant que ces mesures environnementales soient efficaces, elles devraient être évaluées en fonction des coûts et inconvénients qu’elles impliquent”, ont notamment fait savoir les manifestants aux autorités de la ville.
L’avis de L’Auto-Journal
Gare aux avis tranchés sur l’épineuse question de savoir qui est autorisé à circuler dans le cœur des villes historiques. Nos voisins européens ont déjà mis de grosses restrictions en place.
Préserver les monuments et leurs visiteurs implique de baisser drastiquement les flux automobiles, ce qui entraîne de facto une expulsion des familles et des moins argentés.
Un mal pour un bien ? La virulence grandissante de la contestation de l’omniprésence touristique en Espagne et en Italie ces dernières semaines laisse à penser que le manque de mixité sociale est aussi un mal réellement problématique !
Retrouvez notre enquête sur les zones à trafic limité dans Paris dans l’Auto-Journal n°1173 du 12/12/2024.